Deux mois que je suis partie
Voilà près de deux mois que je suis partie. Que j’ai déserté ma vie, mes habitudes, mes terres. Perdre tous mes repères. Pour essayer de me retrouver. De réentendre cette voix qui, il y a quelques mois, est venue me parler. Me rapprocher de cette vérité que dans le bruit et le mouvement je ne parvenais plus à entendre. Je suis assise devant une page blanche. J’aimerais écrire. Raconter. Pour le garder intact. Cette fois ne pas le laisser se diluer. Mais il y a juste des images, des sons, des sensations, des visages. Il y a leurs chants surtout. Et le souffle du vent tiède. Humide. Sucré. Qui me parle.
Le ciel soudain me paraît plus grand. Et pourtant si proche de moi. Je tends mon bras. Je crois que je peux le toucher. Tout brille plus fort. La Lune est là, elle se montre à travers le feuillage. Dans cette hémisphère, elle sourit. Il y a une étoile là haut, qui brille plus fort que les autres. Elle est mon guide. Elle me protège. Je le sais.
Le feu est devenu mon mestre, celui qu’en venant jusqu’ici je suis venue prier. Jour et nuit il me veille. Je ne le crains plus. J’apprends de lui chaque nuit, telle une élève, en dévotion et en humilité.
La jungle hurle dans mes oreilles. Ça grouille et ça bourdonne. Elle me rappelle que tout est vivant. Que dans ces endroits intouchés, la vie se fait si forte que l’on ne peut que l’écouter, la laisser être notre guide et notre religion.
Les branches m’effleurent. C’est la Terre qui me parle. Les feuilles bruissent. C’est la voix de la forêt. Elle n’a pas de mots. Et pourtant je la comprends. Les ombres de la nature sont des esprits qui soudain sous mes yeux s’éveillent. Je cligne des yeux. Est-ce tout cela bien réel?
Comment avons-nous pu tant nous éloigner. Comment avons-nous pu nous séparer. Bâtir ce mur. Couper nos antennes. Refermer nos ailes.
Lorsque je ferme les yeux, je les sens passer dans mon dos. Je ne suis pas seule. Un courant d’air, froid puis tiède. Je les entends rire, chuchotter, comploter. Ce sont mes grands mères. Et les grands mères de mes grands mères. Et je comprends que là où elles sont, il n’y a plus de souffrance. Il n’y a qu’amour et légèreté.