Voix
Je ne me souviens plus quand cela a commencé. Quand je l’ai entendue pour la première fois.
Pas celle qui sait se faire douce, pas celle qui pense devoir être belle. Celle qui revient de loin. Qui a surmonté des impasses pour arriver jusque là. Celle qui a traversé les âges. A explosé les murs que l’on avait érigé autour d’elle. Celle qui a transpercé les blocages et les autres voix dans la tête.
Et lorsqu’elle est sortie ce jour-là, ce n’est pas que ma voix que j’ai entendue. C’est toute mon histoire. Mes racines les plus profondes, mes origines les plus lointaines. Mon essence qui soudain se manifestait à moi. Mon coeur que je délivrais de sa cage.
Il y a eu les larmes. Des torrents de larmes. Les cris aussi. La douleur dans mon bassin. Le feu dans ma gorge. La poitrine qui se fige. Et tout le chagrin qui retrouve son chemin.
Puis je les ai vues. Elles qui n’ont pas pu le faire avant moi. Elles que l’on a tues. Que l’on n’a pas prises dans les bras. Qui n’ont pas trouvé refuge pour délivrer leur souffrance. Qui ont gardé l’empreinte des pertes et des blessures.
Ce n’est pas que ma voix qu’alors j’ai libérée. C’est la voix de toutes les femmes qui sont venues avant moi. C’est leur chagrin qu’un instant j’ai laissé couler. Leurs larmes que j’ai relâché dans la Terre. Leur esprit que j’ai rencontré. Moi-même que j’ai retrouvé et que j’ai découverte à travers elles.
Puis elle a commencé à se manifester d’autres manières. Parfois dans un souffle ou dans un soupir. Parfois en regardant la mer ou en posant mes mains dans la Terre.
Doucement j’ai commencé à chanter. Comme si j’avais toujours chanté. Comme si j’avais toujours entendu ces chants quelque part dans ma tête. Ces chants d’une autre vie, d’un autre temps.
Ma voix comme un fil qui me relie au divin. Comme un canal qui me donne accès à quelque chose de bien plus vaste, bien plus grand que moi. Ma voix comme un animal que j’apprivoise encore. Certains jours apeurée. D’autres jours libre et légère. Dont la graine pousse et se déploît dans mon ventre. Ma voix qui est devenue mon alliée. Cette porte qui m’ouvre à la vie, à l’existence, à l’amour aussi. Qui est ce pont entre les femmes d’hier et les femmes de demain. Qui me permet, lorsque je respire dans mon sexe, de donner une voix à la Terre, de l’écouter, d’apprendre à la connaître. Ma voix qui a choisi mon utérus comme maison. Et qui me permet à chaque son, à chaque vibration de me rencontrer et de me reconnecter à « elle ».
Et lorsque je la laisse me traverser, je me souviens d’un temps. Où les voix étaient libres. Où le ventre des femmes était puissant. Et où ensemble ils pouvaient guérir le monde.